Cohen&Cohen C & C

Parmi les  figures féminines de Shakespeare qui apparaissent à la marge des tragédies, Ophélie s’exprime dans Hamlet entre un père avide, un frère insouciant et un amant capricieux. Présence silencieuse, elle est d’abord passée inaperçue des représentations théâtrales. Sa traduction dans les arts visuels n’en est que plus fascinante. Imaginez que vous illustrez un livre que vous n’avez jamais lu : c’est exactement ce qui est arrivé aux peintres et aux dessinateurs européens du XVIII^e et du début du XIX^e siècle. Ophélie fut une page blanche sur laquelle chacun a exprimé ses désirs. Car Shakespeare le barbare, le sauvage, laisse le spectateur en prise directe avec les passions humaines – les plus nobles mêlées aux plus basses. 

Victime, Ophélie a été comprise par tous. Sa mort a été représentée par les plus grands artistes, Füssli, Delacroix, Redon, Roy Lichtenstein ou Louise Bourgeois. Elle a pris sa revanche en devenant l’héroïne la plus populaire de Shakespeare. John Everett Millais idéalisa sa mort par une icône qui devint à son tour une source picturale et poétique. 

Ses paroles et ses silences ont pris une résonnance particulière. Ophélie ne cesse d’avertir sans jamais atteindre ses interlocuteurs enfermés dans leur monologue. Sa folie continue de fasciner, car si elle la rend « absente » aux autres et à elle-même, elle ne provoque pas son enfermement mais sa libération. Ophélie n’est pas l’histoire d’une mort en surface, mais celle d’une liberté conquise dans un monde perpétuellement dépaysé. Les équivoques, les contradictions, les occasions perdues, les manipulations et les double sens font sa richesse et son actualité.